Tessiture

Je me suis inspirée du questionnaire de Mahie pour vous donner des nouvelles, mais comme mes réponses ont prit une vie d’elles-mêmes, elles ne sont pas vraiment que des réponses à ses questions… Vous me suivez ?

Je viens de terminer de lire un manuscrit, “Au nom des pères”, de Mathieu Tazo,  qui est génialissime. C’est aussi mon prochain projet d’audio-livre (jusqu’à présent je disais toujours “livre audio” mais je viens d’entendre une française dire “audio-livre”, c’est comment qu’on dit ?), alors du coup je suis extatique de travailler avec du si bon matériel, mais aussi je m’inquiète (un peu) de la qualité de mon propre travail et j’espère qu’il sera à la hauteur d’un si bon roman. Pourtant si l’auteur a répondu favorablement à mon audition, c’est qu’il apprécie ce que je fais, non ? Et en plus, j’ai eu une discussion par Skype avec lui, le courant passe bien et les retours sont positifs, donc il n’y a pas de raisons que ça n’aille pas ! On va pouvoir faire quelque chose de très bien, quoi ! Pourquoi est-ce que je me tourmente, boudiou?!!!

Je dis « respect » à : tous les artistes qui continuent d’avancer et de créer malgrés tout, malgrés les périodes creuses (créatives ou financières), malgrés le manque de confiance en soi, les doutes qui rongent tôt ou tard, et malgrés aussi, souvent, l’incompréhension du public ou des proches.

La dernière fois que je vous ai montré des photos de mon studio, j’étais installée au sous-sol de l’ancienne maison. Il y avait plus d’espace, oui, mais pour un studio d’enregistrement ce n’est pas vraiment un avantage puisqu’il faut tuer autant d’échos et de réverbérations que possible. Maintenant, je me suis installée dans la chambre la plus petite de la maison, à l’étage, où il fait plus chaud qu’au sous-sol et c’est plus lumineux (meilleur pour le moral). Il y a une fenêtre avec une vue du jardin, des arbres, et du parc  derrière chez nous, relativement calme (moins de bruits de circulation que si la chambre donnait sur l’avant de la maison). J’ai insonnorisé autour du micro de la même manière qu’avant, avec des couvertures de déménagement (plus un édredon en plumes pour bonne mesure !) au-dessus et tout autour du bureau. Si nous étions propiétaires, j’insonnoriserai probablement avec des panneaux accrochés aux murs comme ceux-là, mais tous les commentaires et critiques m’informent que la différence est surtout esthétique. C’est vrai que pour l’instant je suis tout à fait satisfaite de la qualité du son.

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Le bureau d’enregistrement (à gauche) avec le micro suspendu à un boom arm (pour limiter les sons de vibration de la table) et le manuscrit étalé devant moi sur un support incliné (pour limiter de tourner des pages). Le bureau d’édition devant la fenêtre(à droite) avec le laptop pas trop proche du micro pour pas qu’il capte le petit bruit de ventilation.

 

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Je sais pas trop ce que je voulais montrer avec cette photo. Sauf peut-être qu’en effet la chambre est petite (je n’arrivais pas à reculer suffisament pour avoir une vue d’ensemble). Il y a des étagères avec des livres à gauche, une penderie dans le coin (remplie de manteaux qui bouffent le son) et ce vieux placard en bois que j’aime bien et que j’ai trouvé gratuit (!).

Comment est-ce que je me prépare pour un projet ?

D’abord il faut que je trouve un bon livre…

J’utilise la plateforme ACX.com où les auteurs postent le profil du livre qu’ils souhaitent mettre en format audio (avec le lien Amazon vers le format papier et digital et, surtout, les commentaires des lecteurs), parallèlement les narrateurs/producteurs (comme moi) ont un profil avec des extraits de leur travail. Mon “problème” actuel est qu’il y a beaucoup plus de possibilité de projets en anglais, qu’en français. J’ai la nette impression que le marché du livre audio est beaucoup plus développé dans le monde anglophone, que dans les pays francophones, mais j’ai l’espoir que ça va grandir en même temps que mon expérience dans le domaine.

Quand j’ai vu le titre d’ “Au nom des pères”, je suis d’abord allée lire les commentaires Amazon (tous très bons), j’ai téléchargé l’extrait gratuit sur mon Kindle que j’ai lu à toute vitesse (très bien écrit), puis j’ai envoyé un court message à l’auteur pour établir contact et informer que j’étais en train de préparer une audition (je ne voulais pas que ce projet me glisse entre les doigts). Quelques jours plus tard, quand l’auteur m’a fait savoir qu’il avait aimé mon audition, j’ai découvert que c’est toujours une bonne idée d’annoncer mes couleurs tout de suite pour ne pas avoir de surprises : je travaille avec minutie et je  vérifie plusieurs fois chaque chapitre avant de les télécharger, par conséquent la production d’un livre audio n’est pas un travail rapide (au moins 8 semaines, souvent plus), aussi je communique régulièrement avec l’auteur si je remarque des erreurs dans le manuscrit, et j’apprécie de-même au fur et à mesure qu’il écoute les chapitres qui sont prêts. Bref, je priorise la qualité du travail, plutôt que la vitesse de production.

Une fois le contrat “signé” (c’est un accord entre la companie de distibution, l’auteur, et le narrateur/producteur — moi), l’auteur me fait parvenir le manuscrit au complet. Apparemment, parfois, l’auteur envoie le livre en format physique par la poste, mais dans mon cas j’ai toujours reçu un format doc ou pdf que j’imprime (c’est quand même plus rapide et pratique, surtout que j’écris un tas de notes sur le manuscrit pendant la production).

Ensuite, je lis le manuscrit au complet. Cette première lecture est très importante parce qu’elle me permet non seulement de connaître l’histoire et les personnages, mais aussi d’être sûre que je suis à l’aise pour lire/enregistrer toutes les scènes. Il m’est aussi arrivé de devoir annuler un contrat après cette première lecture parce que j’ai eu la mauvaise surprise de réaliser que seule la traduction des extraits (gratuit et audition) avait été bien révisée… Pas glop.

J’établie alors le débit de lecture (vitesse) et de la voix des personnages. Pour le débit, parfois l’auteur veut quelque chose de spécifique (pour les histoires courtes en français pour étudiants, on m’a demandé “plutôt lent, mais naturel”). Pour les personnages, je demande à l’auteur si il a un document avec le profil des personnages (certains écrivains font ça dans leur processus d’écriture mais pas tous). Sinon un échange d’emails ou une discution sur Skype suffit à éclaircir mes doutes ou me rassurer sur la direction à prendre. Je prépare alors les premières “15 minutes” du livre pour donner à l’auteur une idée de ce que ça va donner. La qualité doit être identique au reste de la production pour donner une idée réelle du travail fini. Quand cet extrait a été accepté par l’auteur (via le site d’acx), un vrai rythme de production peut s’installer.

Ce que je trouve le plus fascinant, intéressant, addictif ?

Pour des productions de théatre ou d’opéra, je n’étais responsable que d’un seul personnage, mais pour une production de livre audio, je donne “vie” à tout un cast de personnages ! Le travail vocal est très différent mais tout aussi intéressant. Bien sûr, je n’utilise pas la respiration d’envergure et les résonnances de chanteur d’opéra. Je n’ai pas besoin d’exprimer quoi que se soit physiquement, ni par le corp ni avec le visage. Je n’ai pas besoin, non plus, de mémoriser quoi que se soit, ni la musique, ni les déplacements sur scène. Par contre pour chacun des personnages, je dois trouver un moyen naturel et subtil de différencier sa voix d’un autre. Je dois trouver des différences sans pour autant tomber dans la caricature; je fais de la narration, pas des dessins-animés ! 😆 Parfois la différence est simplement la tessiture (résonnances de tête pour une femme, résonnances de poitrine pour un homme), des fois c’est dans le débit ou un accent (si un personnage parle avec un accent du sud de la France, ça sort tout seul). Mais en fait,  j’essaie de me mettre dans la peau de chacun des personnages, d’avoir une vision claire de qui ils sont, plutôt que de penser techniquement à où placer ma voix à chaque fois. C’est plus facile et donne un résultat plus naturel, à mon avis.

7 comentários sobre “Tessiture

  1. Passionnant, de lire tout ça ! Ça me donne presque envie de me lancer là-dedans, moi aussi…
    Je ne savais pas qu’il existait un site pour mettre en relation les auteurs et les narrateurs des livres audio. (Je dis livre audio, et pas audio-livre, mais peut-être qu’on peut dire les deux… ou que la deuxième version est influencée de l’anglais).

    • En effet, moi aussi je trouve plus naturel de dire livre audio. Ça m’a surprise! Mais comme je n’habite pas en France, beaucoup d’expressions récentes me surprennent… Pour le site ACX il est super, mais pour l’instant ils n’acceptent que des narrateurs qui habitent dans certains pays (à cause des reçus d’impôt, je pense). Peut-être qu’il existe l’equivalent pour la France ou la Suisse, mais je n’ai pas cherché. Si tu te lance dans la narration, compte sur moi pour t’encourager en tout temps ! ❤

  2. Merci pour toutes ces informations, ça me passionne, et je voulais justement te demander d’écrire plus à ce propos il y a quelques jours, parce que mon premier livre audio était raconté par un homme, et mon deuxième par une femme, et je trouve les différences intéressantes. Comment tu fais pour te souvenir de la voix de chaque personne? 😉

    • Parfois, je me fais un extrait audio avec une mini-compilation des meilleures réparties d’un certain personnage que je n’arrive pas trop à définir. Je ne le fais pas pour tous les personnages, mais surtout pour ceux qui sont secondaires et réapparaissent sporadiquement dans l’histoire.

  3. Alors je dis “livre audio”. Tu nous diras quand ce livre sera disponible avec ta voix ? J’achèterai à nouveau un livre audio en français dans ce cas-là !
    Je viens de terminer un livre où le narrateur était soporifique. Un cauchemar. Là, je viens d’en débuter un autre et c’est un réel plaisir : le narrateur se fait plaisir en changeant d’accent et de voix pour les différents personnages. J’avoue que les anglophones sont très doués. Le seul Français que j’ai écouté n’était pas mauvais mais ne m’a pas laissé un souvenir positif non plus. Ca doit être un travail bien difficile. J’aime bien quand tu en parles. Et j’ai une question plus terre à terre : est-ce que narratrice de livre audio procure un salaire qui permet de vivre décemment ou pas ? Et est-ce en lien avec tout le temps passé dessus ?

    • Le salaire dépend des projets. Certains sont payés à l’heure finie (PFH – per finished hour), c’est à dire un montant fixe par heure de livre audio terminé, peu importe le montant d’heures passées à éditer. D’autres projets sont payés en Royalty Share (droit d’auteur) : je serais payée un pourcentage de la vente du livre, chaque mois, jusqu’à la fin de ma vie ! 😉 (donc c’est tout à fait dans mon intérêt de bien choisir mes projets et de produire un travail de bonne qualité). Pour l’instant comme cela ne fait que 2 ans que je fais ça, je ne peux pas encore en vivre, mais il y a des narrateurs qui accumulent un bon salaire “passif” (passif income, en anglais) de cette manière. C’est ce que j’espère, mais c’est sûr qu’en début de parcours c’est assez désespérant !

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